La brebis Noire du Velay emblème de biodiversité.
En patois du Velay, on ne dit guère "les moutons". On emploie plutôt le terme générique de l’espèce, féminin "la feda", la brebis.
La raison est que la Noire du Velay est élevée pour ses agneaux. Un troupeau est composé de brebis, agnelles qui n’ont pas encore procréé, agneaux en cours de croissance. Quelques béliers vivent à part et ne sont mêlés aux brebis qu’au moment de la lutte, l’accouplement. A partir du moment où le troupeau comporte surtout des femelles, rien d’étonnant qu’on dise "les brebis". Jadis le troupeau était élevé principalement pour sa laine.
Bélier se dit "aret" prononcé aré… Et le mouton, prononcé lou moutou.
Jadis on parlait des "moutons noirs de Bains", aujourd'hui de la "brebis noire du Velay".
Sa toison de jais est exceptionnelle parmi les races ovines françaises, avec celle du mouton nain d’Ouessant.
Elle est authentiquement une part du Patrimoine du Velay. Comme un rappel des sols volcaniques. Lave noire ou basalte. La Neira, prononcée néÿr’ ou neÿr’. La Noire.
La Neira des volcans du Velay à la belle toison noire est reconnue, pour sa capacité d´adaptation, ses agnelages en toutes saisons.
Elle tire des reliefs sauvages du Velay sa robustesse et sa souplesse d'adaptation aux conditions de vie dans les régions accidentées au climat rigoureux.
Les qualités d’élevage de la Noire du Velay.
Didier Cathalan
animateur de la race Noire du Velay :
"La brebis Noire du Velay allie de remarquables performances de production à ses qualités d’adaptation à des environnements variés. La rusticité, caractéristique commune à nombre de races du Sud de la France, confère à la Noire du Velay des atouts indéniables. Bonne marcheuse, elle est capable de valoriser et brouter des territoires pauvres, escarpés ou à fort dénivelé. Lorsque les conditions d’élevage sont difficiles, elle peut s’entretenir avec peu de fourrage, mobiliser ses réserves pour adapter ses besoins à son stade physiologique puis reprendre facilement de l’état corporel. Elle résiste également au froid et aux conditions climatiques difficiles des hivers longs et rigoureux, sans que cela n’altère ses performances. Les races rustiques en général, et la Noire du Velay en particulier, n’ont pas de saison sexuelle marquée. Elles viennent naturellement en chaleur tout au long de l’année, même en période de jours croissants. Ce désaisonnement naturel leur permet d’agneler à tout moment lorsque les béliers, très actifs, restent en permanence dans le troupeau. Cependant les éleveurs choisissent souvent des périodes d’agnelage correspondant à la demande des consommateurs. Cette accélération du rythme des mises-bas permet aux Noires du Velay d’agneler tous les huit mois. Chaque portée est composée d’un ou deux agneaux, parfois trois voire quatre ou cinq. Cette aptitude à la super-ovulation est une caractéristique génétique de la race. Certains élevages obtiennent ainsi une moyenne de prolificité de deux agneaux nés par mise-bas. En général, la prolificité de la Noire du Velay se situe à 1,6 agneau par portée. Sa facilité d’agnelage et son comportement maternel remarquable nécessitent peu d’interventions. Les agneaux naissent vigoureux et leurs mères les adoptent très bien. Leur croissance avec le lait maternel permet aux agneaux de s’alourdir rapidement. Dans certains élevages, les agneaux élevés simples atteignent 14kg à un mois, et les jumeaux (bessons) parviennent à 11kg".
Standard.
Son standard est séduisant par sa beauté et la finesse de son squelette. La robe de l’agneau est noire, comme sa peau, avec parfois une jolie petite étoile blanche sur le sommet de la tête ou au bout de la queue ! Cette étoile blanche est probablement une trace d’anciens croisements. Elle tend à disparaître. Le petit bout de queue blanc persiste davantage, mais est souvent coupé par mesure d’hygiène.
Lorsqu'elle a passé toute la belle saison au pré, sous l’influence du soleil, sa toison vire du noir au brun foncé puis au brun-roux. La brebis vieillissant, sa toison grisonne. La peau est d’un noir-bleuté. La toison est dite en carapace à mèches tassées. Le fil est ondulé, nerveux et fin.
La Neira est une brebis économe au format moyen : 60 à 70 Kgs pour les brebis et 80 à 110 Kgs pour les béliers. Elle a un comportement maternel exemplaire.
Origines.
La Neira semble provenir du Moyen Orient et être arrivée en Auvergne lors de peuplements Celtes vers 1500 avant JC. Elle a été peu touchée par la vaste mérinisation du cheptel sous Napoléon 1er. En France la laine était alors la valorisation principale de l’élevage ovin, bien devant le lait (fromages) et la viande.
D'abord connue sous le nom de "mouton noir de Bains", près du Puy-en-Velay, elle est désignée vers 1914, comme "race ovine des plateaux volcaniques du Velay".
En 1931 le Syndicat d'Elevage de la race en a sauvé, amélioré et fixé le standard.
Sa dénomination actuelle de "noire du Velay" est obtenue en 1950.
On la rencontre désormais dans la plupart des régions montagneuses de France.
Aptitudes.
La Neira démontre sa rusticité par sa capacité d'adaptation aux conditions climatiques variables et sa bonne valorisation de surfaces peu productives. L'héritage du système traditionnel d'élevage rencontré sur les hauts plateaux volcaniques du Velay permet à cette bonne marcheuse d'exploiter des landes et des pacages parfois peu accessibles. Le bélier restait alors en permanence dans le troupeau et les agnelages s'étalaient toute l'année. Ce désaisonnement naturel est exploité rationnellement. Les béliers sont désormais mis en lutte par périodes. Cela autorise des systèmes d'agnelage raisonnés où près de la moitié des brebis du troupeau réalise une double mise bas dans l'année. Cette qualité importante assure la production et la commercialisation d'agneaux à contre saison.
Une agnelle née en hiver ou au printemps, et dont la croissance a été correcte peut agneler dès 12 mois. Une agnelle née en automne peut être mise en lutte à 10 ou 11 mois.
La Neira est calme, son instinct maternel exemplaire. Elle ramasse bien ses agneaux, ce qui limite la nécessité de constitution de cases d'agnelage. Ce comportement allié à une bonne production laitière, car son lait est riche et de bonne qualité, assure des agneaux vigoureux et facilite le travail des éleveurs en période d'agnelage.
La fréquence des naissances gémellaires (prolificité moyenne = 153 %) et l'accélération du rythme d'agnelage favorisent une productivité annuelle élevée.
La brebis Noire du Velay donne naissance à 1,9 agneau en moyenne chaque année. Cela reflète les potentialités de la race quelles que soient les pratiques d'élevage. Elle peut extérioriser au maximum ses qualités en système intensif. Toutefois les éleveurs respectueux de la nature et de la santé des brebis préfèrent l’élevage extensif, sur de grandes surfaces de prés naturels comme c'est le cas de l'élevage le plus proche d'Allègre, à la bergerie des Astiers. Les brebis sont à l’herbe aussi souvent et longtemps que le permet le climat d’altitude de notre région. A la mauvaise saison les brebis sont en bergerie, nourries au foin naturel. Elle assure une production correcte même en conditions peu favorables. La précocité sexuelle des agnelles favorise de bons résultats techniques dans les troupeaux grâce à une bonne fertilité dès l'âge de 7 mois.
Utilisation en croisement.
Les qualités bouchères des agneaux Noire du Velay sont appréciées malgré une conformation moyenne. 20% classé R. Ce classement est amélioré par le croisement avec des béliers de races plus lourdes. Dans les années 50 les éleveurs croisaient exagérément la Brebis Noire avec des béliers de race britannique South-Down. Actuellement on utilise plutôt des béliers Noirs du Velay (élevage en race pure), ou de race Suffolk ou Limousine (blancs). La réponse au croisement de la race garantit des agneaux de qualité, à bonne croissance et bien conformés, appréciés par la filière pour la facilité de leurs débouchés (80% d'agneaux classés R).
Il faut préciser qu’une croissance trop poussée, donne une chair moins fine et de moindre qualité gustative !
Un avantage de l’élevage extensif à l’herbe, dans les prés, est que la croissance est plus lente, en apparence moins profitable pour l’éleveur. La croissance lente garantit une viande fine, souple, tendre et goûteuse. Une croissance lente garde plus longtemps l’Agneau Noir à l’élevage. C’est donc plus coûteux pour l’éleveur. Mais c’est une garantie de qualité largement supérieure que le consommateur averti recherche et sait désormais apprécier !
Implantation.
Jusqu'aux années 1950 la Neira était à la limite de perdre ses qualités intrinsèques et son patrimoine génétique à cause des croisements anarchiques. Elle est désormais en expansion. Elle est recherchée précisément pour ce qu’elle possède de spécifique. Outre l’Auvergne dont le Velay est la partie Sud-Est, la plus méridionale, des éleveurs l’implantent dans les Vosges, le Jura, les Alpes et Hautes-Alpes, les Pyrénées. Dans chacun de ces autres massifs montagneux, ainsi que dans le Cantal et le Puy-de-Dôme, on dénombre une moyenne de mille Noires du Velay. En Ardèche on atteint les 2500 bêtes. Les départements où on rencontre le plus de Brebis Noires du Velay, sont la Haute-Loire, puis par ordre alphabétique l’Ardèche, le Cantal, le Doubs et le Jura, l’Hérault, le Puy-de-Dôme, les Pyrénées, la Savoie.
En Haute-Loire ce chiffre est de l’ordre de 22000, en croissance.
Cette force de réaction des nouveaux éleveurs, bergers et moutonniers à la fois, force le respect et fait bien de la Noire du Velay un emblème de la biodiversité ovine.
Sélection.
« La création de l'UPRA-ROM* en 1972 par un petit groupe d'éleveurs, fiers de leur Neira, et attachés à ses qualités de production et d'adaptation, a sauvé la race menacée par des croisements excessifs avec des races à viande. L'amélioration rapide de la race repose sur le choix judicieux des reproducteurs mâles.
Les adhérents de l'UPRA-ROM créent en 1978 un centre d'élevage de béliers pour conserver les meilleurs géniteurs. Fédérée au sein de l'UPRA, la Section Noire du Velay continue de sélectionner les reproducteurs sur les qualités d'élevage (prolificité et valeur laitière) sans dénigrer la rusticité, le désaisonnement et l'instinct maternel. Elle porte aussi un effort particulier sur l'amélioration des qualités bouchères, avec la mise en place de la Station de Contrôle Individuel des jeunes mâles en 2001, et sur la résistance à la tremblante, par la diffusion de béliers typés résistants.
« 36 élevages, représentent 13 000 brebis.
« Ils constituent la base de sélection et assurent la commercialisation annuelle de 60 béliers recommandés et 1000 agnelles inscrites.
« Les éleveurs d’hier peuvent être fiers d’avoir pris en main le devenir de leur Noire du Velay, sauvée d’une disparition certaine, et ainsi d’avoir permis à de jeunes éleveurs de prendre la relève », proclame l’UPRA.
*. UPRA : Union Pour La Race : terme générique.
*. UPRA-ROM : Union Pour La Race appliquée aux Races Ovines des Massifs.
Quelques chiffres.
Moyenne des chiffres relevés dans les bons élevages :
Nombre de mise bas adulte : 378
Nombre d’agneaux nés : 651
Pourcentage de femelles agnelées deux fois : 39,25%
Taux de prolificité : 1,72.
Taux de productivité : 2,383.
Pics d’agnelages : avril, septembre et décembre (27 et 28%).
Quelques dates :
1931 : création du Syndicat d’Elevage du Mouton Noir de Bains. Fixation du Standard de cette race.
1950 : dénomination Brebis Noire du Velay.
1972 : organisation de la Sélection au sein de l’UPRA.
1976 : mise en place d’un Centre d’Elevage de jeunes béliers Noirs du Velay pour diffuser les meilleurs reproducteurs.
1994 : début des campagnes d’insémination pour favoriser la connexion des troupeaux entre eux, et de diversification des origines pour éviter la consanguinité.
2000 : transformation du Centre d’Elevage en Station de Contrôle Individuel pour améliorer la sélection des béliers en direction des qualités bouchères.
2008 : première fête de La Neira des volcans d'Allègre.
Cet article a été réalisé d’après :
le Souffle de la Neira (Jean-Claude Brunelin), l’UPRA, Pâtre, le livre "La Neira des Volcans", et d'après des témoignages de bergers et moutonniers.
Le troupeau photographié est celui du Gaec de Combe d’Azou, aux Astiers. Allègre.
Texte et photos. G. Duflos. Association La Neira.